dimanche 6 février 2011

Pourquoi je ne pense pas comme Maxime Bernier

On voit dans les nouvelles que l'ancien ministre Maxime Bernier (C-Beauce) croit que la loi 101 n'est pas nécessaire pour la survie du français. Selon lui, le français au Québec — qui veut dire nécessairement d'abord le français à Montréal — est sécuritaire. Voici son raisonnement:
Le français va survivre si les Québécois chérissent leur langue et veulent la préserver ; il va rester vigoureux si le Québec devient une société plus libre, dynamique et prospère ; il va s’épanouir si nous en faisons une langue attrayante que les nouveaux venus voudront apprendre et utiliser. Non en l’imposant et en empêchant les gens de prendre leurs propres décisions sur les questions qui concernent leur vie personnelle.
Comme est trop souvent le cas dans les discussions de cette nature, on ignore complètement les effets de la démographie et l'aspect social d'une langue. Comme on a bien compris à l'époque où la loi 101 était promulguée, ce n'est pas le libre choix linguistique des individus agrégés qui détermine la survie d'une langue. C'est plutôt l'effet "boule de neige" qui garantit sa réussite comme moyen de communication.

Publius Maximus. Source: CBC.ca

En effet, comme il dit, ce n'est pas la "préservation" du français qu'il faut viser — le garer dans un musée aurait le même effet — mais plutôt son épanouissement à l'étranger et chez les nouveaux arrivants. Mais comment?

Moi et la loi 101

En tant qu'anglophone, j'apprécie la loi 101 parce qu'il me fournit une arme dans mon apprentissage du français, une quête pas mal difficile à Montréal. Comment ça?

Je vous partage le fait que, à part des gens qui j'ai payés, tel que des professeurs d'université, il y a très peu de gens à Montréal qui me parlent en français. Et même là, dans les restos, magasins, cafés, etc., c'est une lutte pour pratiquer mon français. En plus, les organismes gouvernementaux québécois et des entreprises (Pharmaprix) m'adressent en anglais, même si je n'ai fait aucune préférence à cet égard, ou même si j'avais opté pour le français. Sans jamais me consulter, la compagnie Fido a changé ma messagerie vocale, qui était en français (comme j'avais demandé au début), en anglais. Enfin, la vaste plupart des gens j'ai rencontré ici – même des québécois francophones « de souche » — m'adressent exclusivement en anglais.

C'est comme si j'habitais dans une boîte où était écrit quelque part "Anglo à vie", voire "Prof d'anglais gratis!" Mais pourquoi je devrais être assigné une telle position dans un Québec francophone?

Ainsi disait René Lévesque en 1982:
À sa manière en effet, chaque affiche bilingue dit [...] à l'anglophone : « Pas besoin d'apprendre le français, tout est traduit. » Ce n'est pas là le message que nous voulons faire passer. Il nous apparaît vital que tous prennent conscience du caractère français de notre société.
Faites attention à ce qu'il a dit. Pour les anglophones, les affiches bilingues auraient dit "pas besoin d'apprendre le français". Donc, il avait l'idée en tête que les anglophones apprendraient le français.

On doit conclure ici que mon "libre choix" est constamment bafoué. Manifestement, c'est seulement le pouvoir de l'état qui me garantit la possibilité de vivre en français à Montréal. Sinon, c'est l'anglais partout, et le régime des anglomanes et du solde final des grandes entreprises canadiennes et américaines, qui répugnent même à embaucher un traducteur afin de faire un effort de base (voir le site web d'Urban Outfitters - qui a converti son site web au Québec en mini-traité anti-loi 101, au lieu d'offrir une version française de son site web). D'autres exemples abondent.

L'échec du marché libre linguistique

Pourquoi donc penserait-on que le marché libre linguistique aurait pour effet quelque chose d'autre qu’un monopole?

Est-ce qu'on est si naïfs qu'on ne voit pas que Maxime Bernier a fort probablement des amis — des "personnes" morales qui attendent à l'extérieur du Québec — qui salivent chaque fois on parle de la chance de défaire la loi 101, et enfin convertir le Québec en marché pleinement américanisé? Heureusement, il semble que non.

Autres auteurs, pour ne nommer que deux, constatent la même chose: Louis Préfontaine nous démonte constamment comment les politiques de ce gouvernement et la faiblesse de l'OQLF ont pour effet la diminution de la place du français dans la métropole. Ailleurs on voit que l'environnement au Canada est toujours hostile au français.

Combiné avec mon expérience, et sans doute celle de beaucoup d'autres étrangers, on peut voir qu’il n'y aucune raison à croire que la théorie "marché libre" linguistique de Maxime Bernier résulterait en quelque chose d'autre que la consignation du français à un musée quelconque.

1 commentaire:

  1. Excellent article, et bien recherché en plus ;) !

    Je vois que nous sommes du même avis sur beaucoup de sujets.

    Merci du lien à mon article, également. C'est toujours bien de voir qu'on n'est pas son seul lecteur.

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